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Coin de l’œil

L’Étrange festival : l’écran rouge de nos nuits blanches

2 au 11 septembre 2011, Forum des Halles, Paris 1er

Depuis dix-sept ans, l’Étrange festival déroule pendant dix jours son tapis rouge parisien pour accueillir les perversions et bizarreries les plus variées, en provenance des quatre coins de la planète cinéma. Du 2 au 11 septembre, au milieu des gravats du Forum des Halles en travaux, près de soixante-dix longs métrages, une cinquantaine de courts et des invités prestigieux en rafale : Jean-Pierre Mocky, Rutger Hauer, Liliana Cavani, Julien Temple… Sélection subjective de quelques projections à ne pas rater.



Soirées "L’Étrange musique"

Le Bunker de la dernière rafale de Jeunet & Caro © DR (droits réservés).
Le Bunker de la dernière rafale de Jeunet & Caro © DR (droits réservés).
La partition musicale, élément indispensable de l’image en mouvement depuis l’invention du cinéma muet, passe souvent inaperçue à bien des spectateurs. Ce ne sera pas le cas lors des deux soirées qui lui sont tout particulièrement consacrées.

Le 6 septembre, impossible d’échapper à Marc Caro, qui vient jouer en live la nouvelle composition sonore de son mythique Bunker de la dernière rafale, coréalisé en 1981 avec son complice d’alors Jean-Pierre Jeunet, pas plus qu’au groupe underground californien Tuxedomoon, qui s’attaque lui aux images très "Gay kitsch seventies" du Pink Narcissus de James Bidgood.

Même punition le 7 septembre où le furieusement allumé Boyd Rice - il est entre autres révérend de "l’Église de Satan"… — entreprend de dynamiter nos oreilles, en même temps que le cultissime et surréaliste Dementia Daughter of Horrors, réalisé à l’aide d’on ne sait quelles substances hallucinogènes par John Parker en 1955. Les acouphènes et les éléphants roses en cuir clouté sont compris dans le prix du billet.

The Theatre Bizarre

Udo Kier, "Monsieur Loyal" dans The Theatre Bizarre © DR (droits réservés).
Udo Kier, "Monsieur Loyal" dans The Theatre Bizarre © DR (droits réservés).
Le théâtre parisien du Grand Guignol, qui anima les soirées de la rue Chaptal de 1897 à 1963, a souvent été source d’inspiration ou d’hommage pour le cinéma, à commencer chez Herschell Gordon Lewis, le pape et inventeur du film gore.

La référence est ici directe, puisque c’est un théâtre de pantins en effet très bizarre qui sert de "liant" aux segments de ce film à sketches franco-américain. Et si la première histoire, La mère des crapauds, réalisé par un jadis plus inspiré Richard Stanley (Hardware), où un jeune couple d’américains en vacances en France tombe sur un exemplaire du mythique Necronomicon - au passage, on se demande bien comment le grimoire imaginé par H.P. Lovecraft a atterri dans nos contrées et en quoi il passionne ces touristes au point de se perdre en forêt pour le consulter… -, renvoie plus à l’univers du cinéma d’horreur italien des années 70/80, le reste du métrage évoque bien le Grand Guignol, période Max Maurey et André de Lorde.

Qu’il s’agisse du couple en rupture de I Love You, de Buddy Giovinazzo, de celui guère plus soudé du délirant Wet Dreams de Tom Savini, ou encore de la tueuse en série qui sévit dans Vision Stains de Karim Hussain - sans doute le segment le plus surprenant du lot -, il est beaucoup question de folie et de sérieux dérèglements psychologiques, humour noir et effets sanglants gratinés à l’appui. Quant au "Monsieur Loyal" de l’ensemble, il est incarné par un Udo Kier dont le regard halluciné n’aurait pas dépareillé sur la scène du regretté théâtre de l’horreur.

Revenge : A Love Story

© DR (droits réservés).
© DR (droits réservés).
Le titre du film de Ching-Po Wong ne trompe pas sur la marchandise : il s’agit bien d’une histoire d’amour et de vengeance. Celle de deux exclus du miracle chinois, un vendeur de rue que tous surnomment "petit bâtard" et une retardée mentale, confrontés à une bande de flics sans scrupules. Après avoir vécu le pire entre leurs mains, "petit bâtard" leur réserve un retour de manivelle à la hauteur du cauchemar subi. Jouant en permanence sur les contraires - émotion/dégoût, poésie/sordide, élégance de la réalisation/violence des situations -, Ching-Po Wong compose un film aussi poignant que percutant, qui, tout en louchant ostensiblement du côté de la concurrence sud-coréenne, ressuscite les grandes heures du cinéma-choc de Hong Kong.

Nuit Suhi Typhoon

Dead Ball © DR (droits réservés).
Dead Ball © DR (droits réservés).
Sushi Typhoon n’est pas le nom du dernier fast-food pour branchés japonisants, mais celui du label créé récemment par la vénérable Nikkatsu, l’une des plus vieilles major nippones - elle a été fondée en 1912. But de la manœuvre : développer les scénarii les plus imaginatifs et permettre à des réalisateurs sans complexes de les porter à l’écran, le tout pour le prix d’une planche de sushis, justement.

Résultat, des films gravement atteints, comme on peut le constater par exemple avec Dead Ball - un jeune champion de base-ball à l’allure de héros de manga doit affronter, dans une prison dirigée par une admiratrice du IIIe Reich, une équipe de joueuses psychopathes - ou, mieux encore, avec Hell Driver, qui nous transporte dans un japon partagé entre zombies extraterrestres et survivants plus ou moins mutants. C’est trash, gore, sans tabou, volontiers cartoonesque, au-delà de l’excessif, et très certainement destiné à aider les jeunes japonais à supporter les tonnes de carcans sociaux qui pèsent sur leurs épaules.

The Woman

© DR (droits réservés).
© DR (droits réservés).
Nouveau film de Lucky McKee (May et l’épisode Sick Girl de la série Masters of Horrors) après les mésaventures de The Woods - remonté par la production) - et de Red - viré en plein tournage et remplacé par le norvégien Trygve Allister Diesen -, The Woman nous plonge sans ménagement dans l’univers très américain de Jack Ketchum, l’écrivain le plus dérangeant du moment, mais aussi, l’un ne va pas sans l’autre, le plus controversé.

Il faut dire que Ketchum n’a pas son pareil pour faire fondre à l’acide le masque anodin de l’Amérique moyenne propre sur elle et bien pensante, pour révéler ce qu’elle peut cacher de plus révoltant. Ici, le père, figure centrale de la famille middle-class et membre honorable de la communauté. En réalité, un salopard pervers, qui frappe sa femme soumise, engrosse sa fille et éduque son fils à suivre ces saines traditions. Quand il ramène d’une partie de chasse en forêt une "femme sauvage" dans le but de l’éduquer aux bonnes mœurs, le massacre peut commencer…

Présenté en avant-première au très propret également festival de Sundance, The Woman a fait fuir quelques spectateurs outrés au milieu de la projection. Rien d’étonnant. Lucky McKee n’est pas un réalisateur confortable et son étroite collaboration avec Jack Ketchum — ils ont écrit le scénario ensemble — ne pouvait qu’occasionner des éclaboussures pas forcément ragoûtantes. En revanche, accuser ce film, comme cela fut fait, d’offrir une image dégradante de la femme, c’est être à côté de la plaque. Ou, plus précisément, accuser le miroir du reflet qu’il nous renvoie.

Une soirée avec Rutger Hauer

Rutger Hauer © DR (droits réservés).
Rutger Hauer © DR (droits réservés).
Le 10 septembre, l’acteur fétiche de Paul Verhoeven présente en personne deux chefs d’œuvres. La Chair et le sang (1985), d’abord, première réalisation américaine du "hollandais violent". Cette furie post-médiévale - nous sommes à la charnière entre le Moyen-âge et la Renaissance, entre les ténèbres et la lumière, entre l’obscurantisme religieux et la connaissance scientifique -, dans laquelle le mercenaire Rutger Hauer s’entiche de la très troublante et manipulatrice Jennifer Jason Leigh, détourne avec brio tous les clichés du film de chevalerie, pour construire un échafaudage d’ambiguïté qui pervertit les notions classiques du bien et du mal.

Rutger Hauer retrouvera Jennifer Jason Leigh en 1987 dans Hitcher, de Robert Harmon, mais pour lui faire passer un très sale quart d’heure, cette fois. Auto-stoppeur un brin psychopathe, il chasse le conducteur solitaire et imprudent sur les routes désertiques américaines. Road-movie éprouvant, Hitcher demeure à ce jour la seule réalisation vraiment convaincante de Robert Harmon, qui enchaînera ensuite les téléfilms anodins. Raison de plus pour ne pas s’en priver.

Du 2 au 11 septembre 2011.
L’Étrange festival.
Forum des images, Forum des Halles, Paris 1er.
Programmation complète, horaires et soirées spéciales sur www.etrangefestival.com
Renseignements et réservations au 01 44 76 63 00.
Vente en ligne des billets sur www.forumdesimages.fr

Gérard Biard
Dimanche 28 Août 2011

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"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
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© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

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09/10/2024
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"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
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Brigitte Corrigou
12/04/2025
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"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024